Pierre Bastien / Dominique Grimo

RAG-TIME Vol. 2 (In Poly Sons, 2008)

PIERRE BASTIEN / DOMINIQUE GRIMO RAG-TIME Vol.2 (In Poly Sons, 2008)

Pour cette deuxième séance de déchiquetage du temps (to rag est à traduire par déchiqueter ou hacher), Dominique Grimo forme un duo de râpage / dérapage avec Pierre Bastien, trompettiste et fin connaisseur du séquençage mécanique pas tout à fait rectiligne. Sous les airs naïfs de sa belle pochette rappelant les petites phrases de Ben Vautier, ce disque offre un grand plaisir d'écoute. Musique d'ameublement façon Erik Satie, son écoute peut être distraite, mais très vite elle capte / capture vos oreilles avec malice, vous colle un sourire aux lèvres et provoque même quelques éclats de rire spontanés. Rag-Time Vol.2 suscite aussi une mise en abîme de réflexions balayant tout le vingtième siècle, du jazz première époque, fin dix-neuvième / début vingtième, concomitant à l'avènement de l'enregistrement, jusqu'à l'heure du DJing et du sampling. La musique est radicalement électro-acoustique, ça déconne, dérape, tourne en boucle façon disque rayé, se délite dans un télescopage spatio-temporel. La fameuse Marinella de Tino Rossi disjoncte au rythme d'un disque salement amoché et d'ondes de minimoog. Les tourne-disques trafiqués sonnent comme des samplers déréglés. Quelques notes nonchalantes de trompette, ukulélé, sanza, flûtes et autres instruments, tracent les contours d'un swing, d'un beat qui ne se veulent surtout pas froidement parfaits, mais fondent au contraire leur subtilité sur l'imperfection technique, comme celle d'une trompette jouée en sourdine (d'autant plus lorsque la sourdine est liquide, comme sur "Out of Antidote" !). Le style jungle de Duke Ellington se basait sur l'exploitation de sonorités parasites, les Futuristes italiens ne revendiquaient pas mieux, tout comme la noise et les musiques électroniques actuelles. Rag-Time Vol.2 joue sur le temps, la durée et la matérialité concrète des notes émises. Il est ainsi tout sauf intemporel au sens propre du terme, mais il atteint pourtant l'intemporalité des grands disques.

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© Eric Deshayes - neospheres.free.fr