Cheval Fou

Couteau Calme (Marelle Music, 2021)

Cheval Fou : Couteau Calme (Marelle Music, 2021).

Voir une telle bête réapparaître dans le paysage musical français est une preuve de plus, s'il en fallait, de la pérennité d'un esprit libertaire "post-soixante-huitard", et de sa vivacité restée intacte. Avant de parler du nouvel album de Cheval Fou, Couteau Calme paru fin 2021, parlons un peu de ses terres d'origine.

Cheval Fou à ses débuts, c'est une communauté freak avec en son sein Jean-Max et Michel Peteau. Elle est de ces communautés qui s'inventent des noms comme autant de porte-étendards imaginaires aux implications concrètes. Cheval Fou côtoie Crium Delirium de Lionel "Fox" Magal, Gong de Daevid Allen, et la Hog Farm, communauté américaine installée en région parisienne vers 1970. Cheval Fou, sa référence, c'est Crazy Horse, Tashunca-Uitco, « ses chevaux ont le feu sacré ». Crazy Horse fut le medecine man de la tribu des Lakotas, en lutte armée contre l'expansion territoriale du gouvernement des États-Unis d'Amérique au XIXe siècle. Il y a le nom, il y a les mots. La communauté de Cheval Fou édite Le Pop, bimensuel underground contre-culturel. Vers 1970/71, elle quitte la région parisienne, pour se transformer en Caravane Pop, en communauté itinérante, installée un temps dans les carrières des Baux-de Provence, à un autre moment dans la région des Dentelles de Montmirail (Vaucluse).

Cheval Fou, c'est aussi un groupe formé de Jean-Max Peteau (guitare, voix), Michel Peteau (guitare, voix, sax) et Stéphane Rossini (batterie, voix). Leur truc, c'est le trip psychédélique sonique, les guitares électriques avec effets flanger, les vibrations à pleine puissance et les ondes tournoyantes en extérieure. En 1972, grâce à une sono prêtée par Gong, ils commencent à donner des concerts gratuits. En 1973, peu après leur participation au festival de Tabarka, le groupe se sépare. En 1976, Michel Peteau et Stéphane Rossini ont formé Nyl.

Seulement deux disques sont venus documenter ces aventures musicales jusque-là. L'album Cheval Fou, paru en 1993 (réédité par Psych Up Melodies en 2011), contient des enregistrements des années 70. Certains titres témoignent de cette fougue free rock domptée, d'autres témoignent d'un apaisement après les fortes tempêtes. Un album de Nyl a été enregistré avec d'anciens membres d'Âme Son, de Crium Delirium et de Magma. Nyl est sorti en 1976 sur Urus Records, le label prenant le relais de Disjuncta Records de Richard Pinhas et Alain Renaud.

Jean-Max Peteau s'est orienté vers la réalisation de films de fiction et documentaires. Le court-métrage Memento a reçu le Grand Prix du Festival International du Film Fantastique d'Avoriaz en 1992. Passionné par l'itinéraire de Louis Mandrin, contrebandier dauphinois du XVIIIe siècle, Jean-Max Peteau travaille depuis plusieurs années à la réalisation d'un projet multimédia (intégrant des bandes dessinées) et d'un documentaire. Le DVD Mandrin, esprit rebelle a été édité en 2014. Michel Peteau a participé à de multiples projets musicaux. Il a formé le duo Pierrot le fou avec Christian Ferraz dans les années 80. Michel Peteau a aussi été actif avec le duo La Fiancée du Pirate avec Lola Jeannel au tournant des années 80/90. Depuis plusieurs années, il forme le groupe Superbravo avec Julie Gasnier et Armelle Pioline, un savoureux projet de pop songs électro vintage millésimées eighties.

Michel Peteau est le principal instigateur et compositeur de Couteau Calme, l'album du retour de Cheval Fou. Il s'inscrit dans une certaine continuité avec les titres plus apaisés du premier disque. Le titre « Couleurs Fantômes » offre une sorte de cérémoniel d'ouverture, sous la forme d'une danse indienne du soleil ou de la pluie. La danse s'habille très vite d'une instrumentation empruntée au rock : batterie, guitare électrique, basse.

Le titre « Couteau Calme » prend aussi une forme instrumentale très libre entraînée par un riff de guitare incisif. Cette tendance à la déstructuration heureuse domine, emmenant l'auditeur dans des ambiances vaporeuses que nous qualifierions volontiers de "post-rock", à moins de parler de psyché tribal downtempo, voire de dub. L'esprit originel de Cheval Fou est là : il est hors limites, il ne se laisse pas enfermer dans un genre et ne peut être affublé d'une quelconque étiquette. Si les guitares et batterie fixent souvent la trame, il y a de multiples instruments à intervenir : de l'orgue, du piano, des boucles, des samples... S'entendent aussi une voix féminine, celle d'Armelle Pioline sur « Habillée de Deux Ailes », et une voix enfantine sur le très beau « Two Moons ».

Les rythmes jouent sur les contretemps, ouverts sur des breaks facétieux. L'un d'eux, sur « Optimicus Aplaudicus », est l'une des nombreuses traces d'humour subtiles, ici par la mise en boucle d'une toux qui résonne de manière particulière, enregistrée pendant les hauts et les bas des vagues Covid. Une rythmique martiale sur « Les Plaques Sensibles » laisse brusquement place à une mélodie au piano d'obédience plus classique. Ce Cheval Fou est délicieusement fantasque. Derrière son apparente nonchalance, il y a un grand soin apporté aux compositions et un univers de détails.

Sur scène, Couteau Calme est joué par un nouveau trio constitué autour de Michel Peteau, avec Matthieu Askehoug à la basse et Cyril Avèque à la batterie.

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© Eric Deshayes - neospheres.free.fr