Chronique rewind 2024. À sa sortie, la beauté froide de 100th Window a pratiquement fait l'unanimité contre Massive Attack, alors qu'il s'agit de l'un de ses plus hauts sommets, évidemment pas des plus accessibles.
3D, alias Robert Del Naja, est presque seul aux manettes, d'où peut-être une source de chagrin pour la fanbase, le Massive Attack collectif des débuts s'est désintégré... 3D n'est pas tout à fait seul. Neil Davidge, déjà là sur Mezzanine, est toujours présent à la production. Il y a aussi des instruments et instrumentistes : Angelo Bruschini (guitare), Alex Swift (programmation et claviers), Jon Harris (basse), Damon Reece (percussions)... Et puis des envolées de cordes orientalisantes sur le fabuleux Antistar.
3D a ciselé des écrins aussi limpides et coupants que le verre et s'aventure en des contrées expérimentales radicales. Cet album ne contient pas de sample de matériaux sonores préexistants sur vinyles. Presque seul, puisque la tradition est maintenue d'inviter des vocalistes hors pair, le fidèle Horace Andy, et Sinéad O'Connor qui intervient magnifiquement sur trois titres : What Your Soul Sings, Special Cases et A Prayer for England. On notera aussi l'intervention très discrète à la voix de Damon Albarn sur Small Time Shot Away. Froid, neurasthénique, 100th Window, sublime le désenchantement du monde, il apporte une âme fantomatique à notre postmodernité. A l'instar du Computer World de Kraftwerk, les pulsations rythmiques sont numériques, précises. Les boucles ont été travaillées pendant des heures, des boucles minimalistes pour un effet maximal. De ce fait même, il est manifestement l'album de Massive Attack qui vieillit le mieux. Il est à la fois détaché du réel, produit en huis clos, et profondément en connexion avec un réel en cours de digitalisation généralisée, un réel foncièrement virtuel, physiquement existant sous forme de données stockées sur des serveurs. Une boucle désincarnée, piste émergeant après plusieurs dizaines de secondes de la fin des envolées de cordes d'Antistar, clôt 100th Window par une musique cybernétique que n'aurait pas renié Brian Eno, le théoricien.
Une rupture dans la continuité. Le groupe a assis sa carrure de bête sanguinaire sur scène, ses morceaux ménageant à chaque fois de très impressionnantes montées d'adrénaline. Il fait alors défiler sur des écrans géants digitaux les budgets en armements des grandes puissances du monde.