BERNARD PARMEGIANI (1927-2013)

Bernard Parmegiani invite l'oreille à voir des lignes, des points, des spirales et des stries. L'oeil écoute autant que l'oreille regarde. Son oeuvre électroacoustique, pour petits et grands écrans, pour le disque et la scène, est immense. L'une de ses créations est inscrite dans l'inconscient collectif : le générique de Stade 2.

Une oeuvre labyrinthe

Bernard Parmegiani est décédé le 21 novembre 2013, à 86 ans. L'âge était grand, l'oeuvre est immense et a tout d'un labyrinthe. Le générique de Stade 2, celui diffusé de 1976 à 1986, nous ayant fasciné tout jeune alors que nous ignorions le nom de Bernard Parmegiani, et le terme même de "musique électroacoustique", c'est par ce générique que doit commencer cette page. Il a été édité en 2021 sur la compilation vinyle Mémoire Magnétique, Vol 2 par le label Transversales Disques.

La musique de Bernard Parmegiani est faite de mouvements, continuums, lignes droites, courbes, spirales, répétitions, stries et distorsions... Il met en relation des oppositions : naturel / artificiel, acoustique / électroacoustique, dedans / dehors, plein / déliés.. Les titres de ses créations annoncent souvent explicitement cette intention. L'imbrication de ces notions aboutit à une mise en abîme vertigineuse, à l'image des perspectives piégées de Escher. Répétitions, refrains impromptus et sonorités technoïdes avant l'heure font de son oeuvre une oeuvre très accessible, parce qu'elle parle. Elle parle en sons, dialogue avec notre esprit.

Bernard Parmegiani - Violostries (Philips, 1969)

Ingénieur du son pour la télévision française, Bernard Parmegiani entre au GRM (Groupe de Recherches Musicales) en 1959, incité par Pierre Schaeffer à suivre le stage de musiques électroacoustiques. Dès 1960 Pierre Schaeffer lui demande de réaliser l'indicatif d'Inter Actualités (futur France Inter). Il lui confiera par la suite la responsabilité du secteur Musique-Image du GRM. Violostries (1963), sa première oeuvre d'importance, est le fruit de la manipulation de sons exclusivement tirés d'un violon et accompagnés par le violoniste Devy Erlih. Les trois mouvements s'articulent autour de cette confrontation fascinante entre électroacoustique et instrumental.

Bernard Parmegiani poursuit ses recherches en s'immisçant dans d'autres sphères musicales. Avec Jazzex il demande à des musiciens issus du jazz (Jean-Louis Chautemps, Bernard Vitet, Gilbert Rovère et Charles Saudrais) de se confronter en direct avec ses bandes magnétiques préparées. Enregistrée pour la première fois au festival de Royan en 1966, Jazzex est l'une des rares rencontres entre jazz et musique concrète, et l'une des plus réussies.

Parmegiani réitérera l'expérience en 1973 avec Michel Portal au bandonéon pour Et après et, dans un autre registre avec les membres du groupe pop expérimental Third Ear Band pour Pop Secret en 1970. A cette époque également, il expérimente les collages sonores avec Pop' Eclectic (1968) ou Du pop à l'âne (1969). Du pop à l'âne démarre par une voix annonçant « des sons de provenances extrêmement diverses ». Effectivement on y croise la ligne de basse de A Saucerful of Secrets de Pink Floyd, des notes de piano éparses, des sons concrets, des percussions africaines, un thème de Jazz, un orgue d'église...

En 1967 Bernard Parmegiani élabore Capture Ephémère, une pièce de 12 minutes qui fait date dans la production du GRM par la complexité et la variété des manipulations mises en oeuvre. Les sons glissent et s'entremêlent comme des anamorphoses sonores.

Bernard Parmegiani - L'oeil écoute (INA-GRM, 2004)

En 1970, avec L'oeil écoute (le titre est emprunté à Paul Claudel), il est l'un des premiers à composer avec les moyens électroniques du studio 54 du GRM. Les sons, relativement reconnaissables (notamment ceux du passage d'un train) invitent à un voyage imaginaire, mais aussi à redécouvrir son environnement sonore quotidien. En 1971, il crée la pièce La Roue Ferris, qui pousse à leur paroxysme ses recherches sur les continuums, répétitions et tournoiements. L'oeil écoute et La Roue Ferris ont été édités en CD par l'Ina-Grm en 2004 et réédités en 2021. Le CD contient également Espèces d'espace, créé en octobre 2002, en concert à la Maison de Radio France, à l'occasion des 75 ans du compositeur.

Avec Pour en finir avec le pouvoir d'Orphée (1971/72), au détour de pulsations semblables à celles de sonars de sous-marins, les continuums et sons répétés, vrillés, débouchent sur des spirales hypnotiques que les créateurs de techno trance ne renieraient pas.

De Natura Sonorum (INA-GRM, 2000)

En 1972 Bernard Parmegiani compose l'une de ses pièces les plus monumentales, L'Enfer, pour l'oeuvre en trois parties La Divine Comédie, d'après Dante. La Divine Comédie comporte deux autres volets : Le Paradis, signé par François Bayle, et Le Purgatoire, co-signé par les deux compositeurs. Si les continuums tournoyants sont encore particulièrement présents dans L'Enfer, ils laissent une large place aux interventions de Michel Hermon, dont la voix est tantôt laissée intacte, tantôt filtrée et/ou transformée, zébrée de sons stridents d'une clarté ahurissante.

En 1975, après deux années de travail, Parmegiani présente l'imposant De Natura Sonorum, une pièce maîtresse dans son oeuvre qui marque un tournant dans sa recherche sonore. Il le dit lui-même : « il y a eu un avant De Natura Sonorum et il y a un depuis De Natura Sonorum ». Il aspire maintenant à plus de sobriété et à une écriture plus épurée en utilisant moins de sons simultanément.

En 1980, Parmegiani refait l'expérience de la littérature musicale avec L'Echo du miroir, avec la voix de Michael Lonsdale, à partir de textes écrits par Parmegiani lui-même, inspiré par un dessin de M.C. Escher. L'Echo du miroir est une oeuvre assez proche, par certains aspects, de L'Enfer. En 1984 il compose La Création du monde, une vaste fresque électroacoustique qui s'inspire non pas de la Bible, mais des grandes théories d'astrophysique. Que Parmegiani donne sa vision musicale des confins de l'univers apparaît comme une évidence, tant ses sons semblent résonner dans un vide intersidéral, un espace ouvert imaginaire, puisque, dans le réel, n'y a de sons dans ce vide-là. La série des Exercismes (1985-1989) tente à nouveau d'en finir avec le pouvoir d'Orphée, d'exorciser le charme que les sons exercent sur nous. Exercismes 3 est primé au Concours International de Musique Electroacoustique de Bourges en 1991. Il poursuit ses recherches avec le triptyque Plain-Temps (Le Présent composé, 1991, Entre-temps, 1992 et Plain-temps, 1993).

La mémoire des sons (INA-GRM, 2002)

En 2002 ont été publiées sur CD Sonare (1996) et La mémoire des sons (2001). Avec La mémoire des sons Parmegiani réutilise de "vieux" sons, ceux qui trottent dans sa tête depuis des années, pour conter une nouvelle histoire. A partir de matériaux hétérogènes (vastes, intimes, publics, privés, sons repérables ou énigmatiques...) Parmegiani sollicite l'imagination de l'auditeur et l'invite à découvrir des climats et des espaces sonores particulièrement variés. On y retrouve quelques fragments de la "sonothèque" du compositeur (passages de trains et l'indicatif de Roissy notamment). Les sons continus et tournoyants sont toujours de la partie. Parmegiani n'en a toujours pas fini avec le pourvoir d'Orphée, et c'est tant mieux !

Créations pour l'écran et la scène

Les oeuvres dites "de concert", ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Parmegiani a mené une intense activité de mise en sons de projets touchant au cinéma (courts, moyens et longs métrages), à la télévision, à la vidéo expérimentale, au film d'animation, à la danse, ou encore au mime (qu'il pratiqua lui-même), au théâtre, à l'opéra et à la publicité... Plus d'une une centaine d'oeuvres ont ainsi été créées et restent en partie à redécouvrir. Les supports auxquels elles sont liées n'étant tout simplement pas diffusés.

Dès le début des années 60 le travail de Parmegiani est étroitement lié à l'image. Il compose les musiques de documentaires, courts, moyens et longs métrages, films d'animation... La musique de Parmegiani accompagne, entre autres, les anamorphoses visuelles de quelques films d'animation : Patamorphose d'André Martin et Michel Boschet (1960), Rhinomorphoses de Monique Lepeuve (1961), Sables de Julien Clergues (vers 1970/71). Pour Electrorythmes de Peter Foldès (1967), un film expérimental explorant le trucage de l'image électronique à partir d'une chorégraphie de Marpessa Dawn, Parmegiani compose une musique à partir des sonorités d'un vibraphone et d'un trio de Jazz. A la même époque, toujours à l'ORTF, il conçoit la musique du film d'animation l'Araignéléphant de Piotr Kamler, un conte philosophique narré par Jacques Rouxel qui préfigure les fameux Shadoks.

L'Araignéléphant a été édité sur le DVD "Piotr Kamler, à la recherche du temps" par aaa production.

En 1971, Bernard Parmegiani compose la musique pour Narcissus écho de Peter Foldès, un film de 6 minutes entièrement animé image par image sur ordinateur. Le film est co-produit par l'ORTF, Computer Image Corporation! et Les Films de la Pléiade. La même année, il sonorise Le Labyrinthe de Piotr Kamler (à voir sur UbuWeb). Un homme de blanc vêtu marche dans un dédale au décor "art moderne", lugubre, rouge et noir, où se balade aussi des ombres de poissons et chauves-souris difformes. Pas de dialogues, la bande-son est uniquement composée de la musique de Parmegiani, utilisant beaucoup de sons d'orgues et de voix, très sombres également, renforçant l'atmosphère angoissante du film.

Les Soleils de l'île de Pâques de Pierre Kast (1972)

Bernard Parmegiani a également composé les musiques de plusieurs longs métrages, notamment La Poupée de Jacques Baratier et Joseph Kosma (1962), Le Socrate de Robert Lapoujade (1968), Je tu Elle,s de Peter Foldès (1969), Les Soleils de l'île de Pâques de Pierre Kast (1972) (disponible en DVD), La Guerre des insectes de Peter Kassovitz (1980), Rock de Michel Treguer (1982), Opération Ypsilon, un téléfilm d'espionnage de Peter Kassovitz (1986). Il a également composé la musique de Inferno, un film inachevé d'Henry Georges Clouzot (1962).

Parmegiani a élaboré la musique d'une demi-douzaine de films publicitaires (Renault, Pelforth, Ajax, Le Seuil, La Sécurité Routière...) et autant de génériques d'émissions et d'indicatifs de radios dont ceux d'Inter Actualités (diffusé de 1960 à 1965) et de France Culture diffusé de 1975 à 1985. Il est aussi le créateur, en 1969, de l'indicatif de l'Aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle (1971-2005).

Au début des années 70, une bourse du Ministère de la Culture lui permet d'effectuer un voyage d'études aux États-Unis consacré à l'art vidéo. à son retour, il réalise une seconde version de L'oeil écoute (1973) en utilisant pour la première fois un synthétiseur analogique conçu par Francis Coupigny et Henri Chiarucci. Les images sont conçues à partir des photographies d'yeux de Borowshik. La même année, il est invité dans les studios de la WDR à Cologne. Il y réalise la vidéo L'écran transparent (1973). Selon Portraits Polychrome Parmegiani, le compositeur prolonge « ses travaux entrepris sur la répétition et les variations périodiques sur des continuums. A l'image, un acteur-mime présente en anglais, un texte de McLuhan qui traite de perception audiovisuelle ». Quelques années plus tard il réalise Jeux d'artifices (1979), conçu pour acousmonium et écrans TV spatialisés.

Parmegiani a composé une douzaine d'oeuvres pour la scène et autant pour des chorégraphies. Pour la Compagnie Christine Bastin, il a composé 3 pièces d'environ une heure chacune : Bless (1989), Abel-Abeth (1990), Siloë (1994), et quelques autres plus courtes.

Archives GRM (coffret 5CD) (INA-GRM, 2004)

La lecture de la rubrique "catalogue" de Portraits Polychromes Parmegiani, qui répertorie de façon presque exhaustive les différents travaux de Bernard Parmegiani laisse pantois. Un constat s'impose, une quantité d'oeuvres signées Bernard Parmegiani dormaient dans les archives de l'INA... Certaines ont été exhumées à l'occasion de la publication du coffret de 5 CD Archives GRM célébrant les 30 ans de l'INA. On redécouvre également dans ce coffret l'étonnante "chanson concrète" L'alcool tue, enregistrée par Bernard Parmegiani en 1962 avec la voix de Caroline Clerc sur un texte de Boris Vian.

Des travaux d'envergure restaient à entreprendre pour mettre à la portée de tous l'ensemble de l'oeuvre de Parmegiani, notamment les pièces créées pour la scène et pour des supports audiovisuelles. Une première salve a retenti en 2001 avec la compilation Questions de temps (CMG#10) réalisée par Denis Levaillant. Elle contient plusieurs extraits de Abel-Abeth, Siloë, Bless, des indicatifs inédits, de courts extraits de ses oeuvres... La compilation s'ouvre sur Question de Temps, extrait d'une oeuvre de concert de 1987.

En 2008, à l'occasion des 50 ans l'INA-Grm, a été publié le coffret 12 CD Bernard Parmegiani regroupant l'intégralité des oeuvres précédemment éditées par le GRM. Ce coffret va être réédité courant 2023. Il sera diffusé notamment par Les Presses du Réel.

Transversales Disques, le label fondé par Jonathan Fitoussi et Sébastien Rosat, mène un travail salutaire d'édition en vinyle de pièces inédites. Il a publié la bande originale du film Rock de Michel Treguer en 2017 et deux compilations d'inédits de 1966 à 1993 : Mémoire Magnétique, Vol 1. en 2018, Mémoire Magnétique, Vol 2. en 2021.

Créé en 2020, le site officiel bernard-parmegiani.fr rédigé par Claude-Anne Parmegiani et conçu par Mattieu Moreau-Domecq donne à lire une biographie détaillée, à écouter de très nombreux extraits, à voir des photos et le documentaire de 9 minutes Bernard Parmegiani, sur un temps, hommage réalisée par Franck Podguszer à partir d'archives de l'INA.

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