TERRY RILEY

A l'époque d'In C en 1964, oeuvre fondatrice pour la musique minimaliste répétitive, Terry Riley employait surtout des procédés pour bandes magnétiques. Terry Riley a ensuite donné de longues improvisations à l'orgue, au piano, accordé en intonation juste, et suivi l'enseignement de Pandit Prân Nath.

Early life

Terry Riley Happy Ending - Les Yeux fermés (1972)

Avant que la Seconde Guerre mondiale n'éclate, Terry Riley (né à Colfax, Californie, en 1935) entend des standards du jazz à la radio et acquière ses premières bases musicales au violon. Il joue l'hymne de la Marine pour son père, mobilisé en 1941. Lorsqu'il a l'opportunité d'être en présence d'un piano, le jeune garçon y passe de longs moments.

Sa mère est impressionnée par les capacités de son fils, qui a manifestement l'oreille musicale. Elle lui fait suivre des cours de piano à partir de 1943/44. Son professeur l'initie à la musique classique occidentale au travers de petites pièces de Bach. Cette première formation se prolonge au lycée à San Francisco, son professeur de musique lui faisant écouter, chez lui, le soir, après les cours, des disques de Bela Bartok, Igor Stravinsky et d'autres compositeurs contemporains. Terry Riley compose à cette époque ses premières pièces, mais n'en a pas conservé de traces écrites.

En 1959, il entre à l'Université de Berkeley et, en classe de composition, fait la connaissance de La Monte Young avec qui il se lie immédiatement d'amitié. Ils improvisent ensemble. Young lui fait découvrir John Coltrane. Il se plonge avec intérêt dans l'avant-garde du jazz. Coltrane donc, mais aussi Sonny Rollins et Thelonious Monk. Terry Riley est également fasciné par les pièces pour piano d'Arnold Schoenberg. La musique sérielle semble lui offrir un formidable espace de liberté.

Riley In Paris

Au début des années 60, Terry Riley joue au sein du Theatre of Eternal Music de La Monte Young. Puis il forme un groupe d'improvisation avec Pauline Oliveros et Loren Rush avant de partir en Europe. Il y séjourne de 1962 à 1964, d'abord en Espagne, puis en France.

Terry Riley habite à Paris vers 1962/63. Il y gagne sa vie en tant que pianiste dans des clubs de jazz. Parallèlement, il expérimente l'utilisation des bandes magnétiques, notamment avec l'australien Daevid Allen. Ce dernier forme le Daevid Allen Trio avec Robert Wyatt et Hugh Hopper en 1963 (ils formeront Soft Machine en 1966). A Paris également, Terry Riley collabore avec Chet Baker. Sur Music for the Gift (1963), il accompagne le trompettiste avec un montage sur bandes mises en boucle de sons de trombone, basse, batterie, de sons concrets et de voix. A travers ce travail sur bandes magnétiques, Riley développe un mode de composition et d'improvisation basé sur la répétition (et le changement) de courtes cellules mélodiques, tout du moins sonores. En Europe toujours, il collabore avec des membres de la mouvance Fluxus.

Durant cette période, il conçoit une série de compositions pour instruments et tape loops : Concert for 2 Pianos and 5 Tape Recorders (1960), Mescaline Mix (1961-62), Dorian Reeds (1964/65)... La composition pour saxophone solo et deux magnétophones Dorian Reeds a été rejouée par Matt Starling en 2015 et éditée par Crescent Phase Records.

IN C

De retour aux États-Unis, Terry Riley crée In C (En do majeur) le 4 novembre 1964 à San Francisco. Là où La Monte Young est le pionnier de la musique minimaliste à base de drones, avec In C Terry Riley est le fondateur de la musique minimaliste dans sa tendance répétitive. A l'instar de beaucoup de compositions émanant du mouvement Fluxus, sa partition offre un cadre d'actions libres à partir de directives simples. La partition tient sur une feuille A4, accompagnée de quelques pages d'indications. Selon Terry Riley : « tous les interprètes jouent la même partition de 53 motifs à répéter (...). Chaque interprète a la liberté de choisir le nombre de répétitions avant de passer au motif suivant. Aucune règle ne fixe le nombre de répétitions. » A cette première de In C en novembre 1964 participent Jon Gibson et Steve Reich.

Depuis, au moins 25 versions de In C ont été publiées sur disque, en grande majorité des années 1990 à aujourd'hui, notamment par les ensembles Ictus, Salt Lake Electric Ensemble, Bang on a Can, DésAccordes, The Sensorium Saxophone Orchestra, le collectif Africa Express fondé par Damon Albarn (In C Mali), et en 2022 par The Young Gods.

De l'underground à Columbia

Au cours de l'année 1965, Terry Riley déménage à New York. Il rejoint le Theater of Eternal Music, actif de 1961 à 1970. Au Theatre of Eternal Music participent La Monte Young, Marian Zazeela, Tony Conrad, Angus MacLise et John Cale. Ces deux derniers jouent dans un groupe qui change plusieurs fois de nom et devient The Velvet Underground en novembre 1965, avec Lou Reed et Sterling Morrison. Terry Riley enregistrera Church of Anthrax avec John Cale en 1970, album qui sortira sur CBS en 1971.

Terry Riley crée Poppy No Good and The Phantom Band (1967) pour saxophone, orgue et dispositif à bandes magnétiques (tape delay) et Rainbow in Curved Air (1969) pour orgue électronique en re-recording. A la demande du Philadelphia College of Art, vers 1967/1968, il fait pour la première fois un all night concert, durant une nuit entière, seul à l'orgue et en delay. Le son joué en direct est réinjecté dans les haut-parleurs une ou plusieurs fois. En jouant sur la durée, à l'instar des cérémonies soufies devant menées à l'extase mystique, il s'agit d'amener le public vers un état de conscience propice à la méditation.

Terry Riley - Rainbow in Curved Air

Au cours d'une tournée nommée Intermedia'68, John McClure et David Behrman, travaillant pour la major Columbia, lui proposent un contrat. Une version de In C, enregistrée en 1968 avec Jon Hassell, est publiée dans l'année sous le label Columbia Masterworks. Poppy No Good and The Phantom Band et Rainbow in Curved Air sont publiés en 1969.

Terry Riley renouvelle l'expérience des all night concerts au cours de la tournée Intermedia'68 et les années suivantes. Sur Persian Surgery Dervishes (1972) figurent deux longs enregistrements captés dans ce type de contexte, l'une à Los Angeles en 1971, l'autre à Paris en 1972. Grâce ces publications, Terry Riley se fait connaître auprès d'un plus large public.

Il compose également pour le cinéma. Pour le film de Joël Santoni Happy Ending / Les Yeux fermés (1972) (qui s'inscrit dans le prolongement de Persian Surgery Dervishes) et pour Le secret de la vie / Lifespan de Sandy et Alexander Whitelaw (1975), dans lequel Klaus Kinski tient un rôle de docteur (halluciné, cela va sans dire).

Prân Nath, le Kronos et Shri Camel

Durant cette période, Terry Riley fait une rencontre décisive, celle de Pandit Prân Nath (1918-1996), un maître de musique classique d'Inde du Nord, hindoustanie, de l'école Kirana gharana. Pandit Prân Nath tient son enseignement de Ustad Abdul Wahid Khan (1871-1949), co-fondateur, avec son cousin Ustad Abdul Karim Khan (1872-1937), de cette école, à Kirana, à la fin du XIXe siècle. La Monte Young et Marian Zazeela ont rencontré Pandit Prân Nath en 1967. En 1970, Riley, Young et Zazeela deviennent ses disciples et le demeureront jusqu'à son décès en 1996. Pandit Prân Nath a fondé le Kirana Center for Indian Classical Music à New York en 1972.

Soundohm a mis en ligne sur Youtube des vidéos captées lors d'un concert à Rome en 1977 réunissant Pandit Prân Nath, La Monte Young, Marian Zazeela et Terry Riley :

En février 1975, dans les studios de la WDR à Cologne, Terry Riley et le trompettiste Don Cherry enregistrent "The Descending Moonshine Dervishes" (édité sur Terry Riley Don Cherry Duo par B.Free en 2017). En 1980 paraît Shri Camel, comportant des improvisations pour orgue et bandes magnétiques. En 1976, Robert Ashley réalise la série documentaire Music with Roots in the Aether en 7 volets. L'un d'eux est consacré à Terry Riley et contient deux parties : une première partie d'une heure en entretien avec Robert Ashley en extérieure, Landscape With Terry Riley, une deuxième partie en concert, The Music Of Terry Riley, proposant Shri Camel: Morning Corona.

Un concert donné dans le cadre du Holland Festival de 1977 a donné lieu à un documentaire, comprenant environ 8 minutes d'interview, suivies de 49 minutes du concert. Terry Riley utilise alors un orgue électronique Yamaha YC-45-D à double claviers et deux magnétophones à bande.

Au Théâtre Edouard VII à Paris, le 10 novembre 1978, Terry Riley a joué de longues improvisations publiées en 2008 sous le titre Last Camel in Paris par le label américain Elision Fields.

Puis Terry Riley se fait plus discret. Il approfondit sa connaissance du raga auprès de Pandit Prân Nath et en faisant plusieurs voyages en Inde, ce que font aussi La Monte Young et Marianne Zazeela. Terry Riley accompagne fréquemment Pandit Prân Nath en concerts, au tampura. Fin 1984, il enregistre dans les studios de la WDR des titres en duo avec Krishna Bhatt au sitar et tabla. Terry Riley y est lui-même au piano et au chant (édités sur Terry Riley Krishna Bhatt Duo par B.Free en 2017). A partir du début des années 80 Terry Riley se consacre également à l'enseignement de la musique indienne au Mills College d'Oakland. Il y rencontre David Harrington, le fondateur du Kronos Quartet. Une fructueuse collaboration avec le quatuor à cordes commence : Cadenza on the Night Plain (1985) Salome Dances for Peace (1989), Requiem for Adam (2001), The Cusp Of Magic (2008), Sun Rings (2019).

Terry Riley s'est lui-même tourné vers une musique plus acoustique, délaissant l'orgue pour le piano et le sitar. En 1989, il créa le New Performance Ensemble Khayal, formation orientée vers la musique improvisée instrumentale et vocale. Durant les années 1980 et 90 Riley s'est le plus souvent produit en solo au piano. Sur The Padova Concert (enregistré en 1986, publié en 1992), il joue sur un piano accordé selon les principes de l'intonation juste.

Terry Riley s'est produit avec le contrebassiste italien Stefano Scodanibbio à de multiples reprises, notamment au Festival MIMI à Arles en 1999 et au festival Sonar à Barcelone en 2001. Après ses longues années de formation auprès de Pandit Prân Nath, Terry Riley est désormais capable d'interpréter d'envoûtants ragas d'Inde du Nord, en s'accompagnant lui-même au sitar. Au Festival MIMI, il clôt son concert par un mémorable raga du soir.

Sri Moonshine, l'Atlantis et des rêves

TERRY RILEY Atlantis Nath (Sri Moonshine, 2002)

Terry Riley a fondé son propre label, Sri Moonshine, du nom de son ranch situé dans les montagnes de la Sierra Nevada en Californie. La première publication de Sri Moonshine est l'album Atlantis Nath en 2002. Il s'agit du premier album studio de Terry Riley depuis Shri Camel en 1980. Atlantis Nath est né sous l'impulsion de Michel Redolfi, directeur du festival MANCA à Nice. Terry Riley a composé de nombreuses pièces pour ce festival de 1992 à 1998 révélant un nouveau Riley, « à la fois jazzman, homme d'orchestre, écrivain, mystique et anarchiste : un créateur "maximaliste" encore inconnu du grand public ». Atlantis Nath est l'un de ses albums les plus variés, où longs soli au piano côtoient chant raga, synthétiseur planant et nappes orchestrales. La texture vocale de Terry Riley évoque à certains moments celle de Robert Wyatt.

En 2011, sur Sri Moonshine Music est sorti Terry Riley & Gyan Riley Live. Ce disque témoigne de la collaboration musicale et scénique entamée entre Terry Riley et son fils guitariste Gyan Riley. Le disque contient des extraits de concerts donnés au Lieu Unique à Nantes en 2004, à la Peter's Church of Ireland de Drogheda en Irlande en 2007 et au Berkeley Art Museum and Pacific Film Archive en 2010. Terry Riley et Gyan Riley ont aussi publié l'album Way Out Yonder sur Sri Moonshine en 2019.

Le projet Aleph de Terry Riley, initié par John Zorn, est sorti sur Tzadik en 2012. Aleph est un double album. Chaque CD recèle une seule pièce, l'une de trois quarts d'heure, l'autre de plus d'une heure. Terry Riley fait ici un retour à ses longues improvisations au clavier.

Un concert de Terry Riley et Gyan Riley à la Gaîté Lyrique à Paris en 2015 a été l'occasion d'un entretien avec Olivier Lamm filmé pour The Drone.

Le contrebassiste Stefano Scodanibbio est décédé en janvier 2012 à l'âge de 56 ans. En mai 2013, Terry Riley lui a rendu hommage en jouant, chose rare dans sa carrière, sur un orgue à tuyaux, celui de la basilique Santa Maria dei Servi de Bologne. Cet hommage a été publié sur CD et en digital en 2022 sous le titre Organum for Stefano par le label I Dischi Di Angelica.

Autre expérience inhabituelle, Terry Riley note ses rêves dans un journal personnel. Il a mis certains de ses rêves en musique et les a retranscrits sous formes de contes. Ces derniers ont servi de matériaux de base à Autodreamographical Tales. Une première version de ses contes a été publiée par Tzadik en 2010, contenant des enregistrements de 1996 et 2006, avec Terry Riley au piano et à la voix. A partir d'une démo enregistrée par Terry Riley, le Bang On A Can All-Stars a enregistré une nouvelle version de Autodreamographical Tales, publiée sur leur label Cantaloupe en 2022.

Chroniques disques :

Sources :

  • Johan Girard, Répétitions : L'esthétique musicale de Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass (Presse Sorbonne Nouvelle, 2010).
  • Stéphane Lelong, Nouvelle Musique (Balland, 1996).
  • William Farley, In Between The Notes: A Portrait of Pandit Pran Nath (documentaire, 1986).

Liens :

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