LA MONTE YOUNG

La Monte Young est à la fois le pionnier de la musique minimaliste et son représentant le plus radical, celui qui travaille au corps le son sur la très longue durée pour créer des effets psycho-acoustiques et, pratiquement, une altération de la perception humaine. Il y a un avant et un après l'écoute d'un disque de La Monte Young.

Du jazz à Fluxus

La Monte Young est né en 1935 à Bern, Idaho. Il reçoit ses premières leçons de saxophone à 5 ans et fréquente une école de Jazz à Los Angeles à 15 ans. Quelques années plus tard, il se produit avec Billy Higgins, Don Cherry, Ornette Coleman et Terry Jennings. Il prend des cours de composition avec Eric Dolphy, alors inconnu, avec qui il joue de la clarinette dans un orchestre classique. Au L.A. City College, Leonard Stein lui fait découvrir Debussy, Bartok et surtout Webern. Vers 1956/58, La Monte Young compose alors ses premières pièces dodécaphoniques. En 1959, il découvre les travaux de John Cage au séminaire de Karlheinz Stockhausen à Darmstadt.

Ces travaux portaient notamment sur l'indétermination dans la composition et l'interprétation d'une œuvre. A son retour La Monte Young complète sa formation par deux années d'études à Berkeley où Richard Maxfield enseigne, vraisemblablement le premier aux Etats-Unis, les techniques de création musicale à l'aide de sources purement électroniques.

La Monte Young abandonne le sérialisme pour une approche nettement influencée par les compositions expérimentales de John Cage. De cette période datent ses premières œuvres où il s'agit de jouer une seule note tenue pendant une durée indéterminée ("Trio pour cordes") et des "compositions" qui comportent comme seules indications : "Si et fa dièse à tenir longtemps" ou "Tirez une ligne et suivez la". En 1960, Young programme une première série de concerts dans le loft de Yoko Ono et participe, en 1961, aux soirées organisées par Georges Maciunas dans sa galerie new-yorkaise. L'impulsion est donnée à Fluxus, mouvement fortement influencé par John Cage où les créations s'apparentent à de véritables happenings réunissant différentes pratiques artistiques. Les activités du mouvement (auquel participent Georg Brecht, Yoko Ono, Hal Hansen, le Living Theatre, Henry Flynt, Walter De Maria, Nam Jun Paik...) gagnent rapidement l'Europe et le Japon.

Dream Houses

En 1962 La Monte Young compose "The Four Dreams of China" et prend conscience de son désir de "construire des œuvres musicales qui pourraient être jouées très longtemps, voir indéfiniment". Il s'écarte du mouvement Fluxus vers 1965. Entre temps La Monte Young a rencontré l'artiste Marianne Zazeela qui deviendra sa femme. En août 1963, ils mettent sur pied la première installation visuelle et sonore du nom de "Dream House". Marianne Zazeela a développé un système de lumières évolutives et colorées sur des sculptures. Les ombres des sculptures, résultant de la combinaison de plusieurs éclairages, créent de nouvelles formes en trois dimensions, un nouvel espace entre le réel et l'imaginaire. La musique qui est jouée est constituée de notes tenues pouvant être prolongées à l'infini. La Monte Young utilise différents oscillateurs d'ondes sinusoïdales, oscilloscopes, amplificateurs et haut-parleurs pour produire des environnements de fréquences continues. Pour l'auditeur il s'agit donc de s'immerger littéralement dans le son pour en percevoir les aspérités, une expérience invitant à la méditation, à être autant à l'écoute de soi qu'à l'écoute des sons. En 1967, La Monte Young et Marianne Zazeela rencontrent Pandit Prân Nath, spécialiste du raga indien et du style Kirana. Ils en deviennent les disciples en 1970 et le resteront jusqu'à sa mort en 1996. La Monte Young déclara à propos de Pandit Prân Nath : "C'est avec lui que j'ai véritablement compris ce que signifiait la transformation progressive d'une note continue". Les Dream Houses sont présentées dans différents lieux à travers le monde, pour des durées de plusieurs jours à plusieurs années, parmi lesquels : Fondation Maeght à Saint Paul de Vence (1970) ; Documenta V, à Kassel (1972) ; Dia Art Foundation de New York, de 1979 à 1985 puis en 1989/1990 ; Ruine der Künste à Berlin (1992) ; Centre Georges Pompidou à Paris (1994-1995) ; Musée d'Art Contemporain de Lyon (1999) ; Eglise Saint Joseph à Avignon (pour une durée de 4 mois en 2000). Une Dream House fonctionne en permanence à la MELA Foundation à New York depuis 1993.

The Theater of Eternal Music

En 1960, La Monte Young, Marianne Zazeela, Tony Conrad, John Cale et Angus MacLise fondent le collectif "The Theater of Eternal Music" ("le théâtre de la musique éternelle") parfois appelé "Dream Syndicate". Ce collectif devient le terrain d'expérimentations et de rencontres de nombre de pionniers du minimalisme. Dennis Johnson, Terry Riley, Jon Gibson, Jon Hassell, Lee Konitz ou encore David Rosenboom collaborent également au "The Theater of Eternal Music". Après avoir quitté ce collectif, Tony Conrad, John Cale et Angus MacLise se joignent au groupe "rock", accueilli par la Factory d'Andy Wahrol, qui prendra le nom de "Velvet Underground". En 1960, La Monte Young débute "The Tortoise, His Dreams and Journeys" ("La tortue, ses rêves et ses voyages") comprenant de longues improvisations cadrées par des lignes directrices relativement strictes, œuvre sans fin qu'il prolonge encore aujourd'hui. "Inside the Dream Syndicate - volume 1 : Day of Niagara", enregistré en avril 1965 et paru en 2000 sur le label Table of The Elements constitue la seule trace discographique des débuts de "The Tortoise, His Dreams and Journeys". La Monte Young serait en possession de dizaines voire de centaines d'enregistrements datant de cette période, mais refuse de les éditer. Selon Young, "The Well Tuned Piano", qu'il joua pour la première fois à Rome en 1974, seul au piano (accordé selon les principes de l'intonation juste) fait également partie de "The Tortoise, His Dreams and Journeys" et en constitue l'un des enregistrements les plus représentatifs. Ce concert de plus de cinq heures a été publié par Gramavision en 1987.

La Monte Young, Marian Zazeela  The Theatre of Eternal Music (Shandar, 1973)

Le vinyle publié en 1973 par le label français Shandar sous le nom "La Monte Young, Marian Zazeela The Theatre of Eternal Music" et avec pour titre Dream House 78'17'' est des plus mythiques. Cette incarnation du Theater of Eternal Music est constituée de La Monte Young (voix et ondes sinusoïdales), Marian Zazeela (voix), Garrett List (trombone) et Jon Hassell (trompette) sur la face A du vinyle, et de La Monte Young, seul aux ondes sinusoïdales, sur la face B. Il creuse le sillon de la suspension du temps par la puissance du drone extatique, grâce à une d'électronique, de chant inspiré du raga et de notes tenues aux cuivres.

La Mela Foundation a été créée par La Monte Young et Marian Zazeela à New York en 1985 pour y prolonger promouvoir leurs créations musicales et visuelles, des installations de longue durée. La fondation est également consacrée à la conservation d'archives.

Dans les années 1980 et 1990, l'ensemble The Theatre of Eternal Music Brass and String, dirigé par le trompettiste Ben Neill et le violoncelliste Charles Curtis, a présenté "The Melodic Version" (1984) et "The Four Dreams of China" (pièce créée en 1962), à travers les Etats-Unis et l'Europe. Dans les années 1980, La Monte Young a également collaboré avec le guitariste et compositeur Michael J. Schumacher. En 1990, La Monte Young forme le Forever Bad Blues Band avec lequel il étend ses concepts aux idiomes du blues et du jazz. Le Forever Bad Blues Band, constitué de La Monte Young (synthétiseur), Jon Catler (intonation juste et guitare fretless), Brad Catler (basse), Jonathan Kane (batterie) et Marianne Zazeela (light design), s'est produit en Europe et aux Etats-Unis lors de concerts de deux à trois heures à partir du thème "Young's Dorian Blues" écrit en 1960.

En 2003 est sorti le DVD The Well-Tuned Piano In The Magenta Lights (sur Just Dream), soit les 6 heures 24 minutes filmées le 10 mai 87 à New York permettant, et c'est la grande nouveauté par rapport au coffret 5 CD de Gramavision, d'apprécier également l'installation lumineuse de Marian Zazeela.

Une nouvelle pièce, Just Charles & Cello in The Romantic Chord, pour violoncelle, électronique et lumières de La Monte Young et Marian Zazeela a été présentée par Charles Curtis, successivement à Paris, Dijon, Lyon et Berlin en novembre / décembre 2003 et mars 2004. Just Charles & Cello in The Romantic Chord est un premier extrait de "Quadrilateral Phase Angle Traversals".

Livres :

Jacques Donguy, La Monte Young, inside of sounds (Editions Aedam Musicae, 2016).

Joseph Ghosn, La Monte Young (Le mot et le reste, 2010).

Lien :

melafoundation.org

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