Hélène Breschand

Pandore ( Musea / Gazul, 2019)

Hélène Breschand : Pandore ( Musea / Gazul, 2019)

Hélène Breschand prend pour prétexte le mythe de Pandore pour mener des improvisations à la harpe et à la voix aux confins du psychédélisme. Pandore est essentiellement connue pour sa boîte offerte par Zeus. Chez les Grecs, comme ailleurs, les dieux avaient les idées franchement tordues. Ladite boîte contenait tous les maux et Zeus lui interdit de l'ouvrir. On tient là le comble du cadeau empoisonné. Bien entendu, Pandore en vint un jour à enfreindre l'interdiction : tous les maux en sortir, sauf l'espérance. Merci Zeus, c'est un bien pernicieux lot de consolation... Pandore est aussi à placer parmi les nombreux mythes anthropogoniques faisant intervenir une divinité coroplaste, Héphaïstos en l'occurrence. Il créa la première femme, Pandore, à partir d'eau et d'argile, obéissant aux ordres de Zeus voulant se venger des hommes pour le vol du feu par Prométhée.

Les mythes sont des sources d'inspiration intarissables. Pour Hélène Breschand, à la voix, à la harpe électrifiée et pédales d'effets, convoquer le mythe de la boîte de Pandore est un très beau prétexte pour engendrer de nouvelles improvisations lors de performances scéniques en collaboration avec différents artistes. La matière sonore créée et l'histoire racontée seront toujours différentes. Ainsi, le disque Pandore ne correspond pas à ce qu'elle joua ou jouera sur scène, mais à l'une de ces histoires captées en solo. En cinq titres, dont trois longs, pour une durée totale d'un peu plus de trois quarts d'heure, le disque montre déjà la variété des mondes possibles.

En introduction, avec le très court « Souffle », Hélène Breschand nous chuchote quelques mots et flirte avec l'ASMR. Puis elle engage les hostilités avec « Lilith », le premier long morceau. L'électrification, l'amplification des cordes de la harpe, l'emploi de pédales et de boucles rapprochent l'instrument de la famille des guitares et basses électriques, voire même de certains claviers et synthétiseurs analogiques. « Sous le soleil » repose sur d'autres techniques, notamment les glissandi. Les cordes, également amplifiées, sont délicatement frottées, produisant ainsi des notes très allongées, une atmosphère cinématographique.

Le très long « Pandore » (plus de vingt-trois minutes, on ne s'en plaint pas, au contraire) est à placer parmi les titres les plus psychédéliques de la discographie d'Hélène Breschand. « Pandore » nous évoque un lointain, mais certain, cousinage avec « Set The Controls For The Heart Of The Sun » de Pink Floyd, l'un des canons du genre. Certes, il faut l'imaginer très ralenti et sans batterie... La comparaison est audacieuse, mais elle vaut pour une forme d'esthétique du cri et des sonorités planantes. La voix d'Hélène Breschand y est d'abord diaphane, comme entendue dans la brume d'un vieux film d'épouvante. Puis c'est la plurivocalité qui s'installe. La voix d'Hélène Breschand intervient en même temps sous une forme parlée, pratiquemment chuchotée et sous la forme de cris perçants. Intervient aussi la voix d'Elliott Sharp (guitariste new-yorkais avec qui Hélène Breschand a enregistré en duo Chansons du Crépuscule publié en 2017). Sur « Pandore » Elliott Sharp parle en même temps qu'Hélène Breschand. Les cordes finissent par se confondrent avec certains cris, avant de les supplanter. Si nous avions affaire à un film ou à une série, nous passerions sous silence la séquence finale de « Pandore » pour ne pas "spoiler". Revenant à des sonorités plus classiques à la harpe, Hélène Breschand chante, clairement, d'une voix cristalline très émouvante. Le dernier titre, le court « Naissance » aux douces sonorités tintinnabulantes, est un superbe épilogue.

Pandore a pris cette très belle forme sur ce disque. Il peut en prendre bien d'autres, comme celle ci-dessus en vidéo avec Charline Corcessin, qui relève le défi d'évoluer avec grâce sur un sol blanc couvert de terre noire. Pandore sera aussi à apprécier prochainement en direct. Le 27 novembre 2019 Hélène Breschand ouvre la boîte de Pandore avec Cécile Mont-Reynaud et Tarek Atoui au festival Bruits blancs à Arcueil, et les 5 et 6 décembre 2019 avec Karelle Prugnaud et Kerwin Rollandau festival Instants Fertiles à Saint-Nazaire.

© Eric Deshayes - neospheres.free.fr