Michael Gordon

Il développe une musique contemporaine incluant l'énergie du rock, les technologies de la pop et les acquis du postminimalisme. Michael Gordon est clairement l'un des grands compositeurs d'aujourd'hui.

Né à Miami Beach en 1956, Michael Gordon a grandi à Managua, au Nicaragua, au sein d'une communauté yiddish polonaise réfugiée en Amérique centrale. Son enfance est ainsi bercée par les cultures yiddishs et amérindiennes. Il commence à prendre des cours de piano à 5 ou 6 ans mais déteste alors autant les exercices que la musique classique. A l'âge de 8 ans ses parents repartent vivre à Miami Beach où il découvre la culture Pop américaine. A l'adolescence il écoute surtout du rock, notamment les Beatles. Il passe des heures à fouiller dans les bacs des disquaires, accumulant une importante collection de vinyles, et s'intéresse peu à peu aux musiques qui "sonnent bizarres".

Il entend la musique d'Elliot Carter qu'il trouve alors particulièrement laide, mais comprend néanmoins qu'elle sous-tend une forme de logique et une sensibilité qui lui sont inconnues. Cette incompréhension le pousse à explorer la musique contemporaine. De 1974 à 1977 Michael Gordon suit des études de musique à l'université de Floride. Dans ses travaux de composition peu orthodoxes il reçoit le soutien éclairé d'un professeur en particulier, Edward M. Troupin, dont l'approche iconoclaste tranche totalement avec celles des autres enseignants ouvertement conservateurs.

En 1977 Michael Gordon s'installe à New York et fréquente la Yale School of Music jusqu'à l'obtention d'une maîtrise de composition en 1982. La musique contemporaine y est abordée comme ne pouvant être comprise et appréciée que par les compositeurs eux-mêmes. Michael Gordon rejette cette approche qui mène à une impasse. Là encore il trouve un professeur pour le soutenir, cette fois en la personne de Martin Bresnick. Michael Gordon apprécie surtout les compositeurs qui suivent leur propre voie en dehors des règles musicales établies : Conlon Nancarrow, Glenn Branca, Steve Reich, Philip Glass, John Cage, Harry Partch, Louis Andriessen, Brian Eno, Georges Crumb...

A partir de la fin des années 70 Michael Gordon joue aussi bien dans des formations de musique classique que dans des groupes de rock de l'underground new yorkais. Il joue notamment au sein d'un groupe nommé Peter and the Girlfriends, avec lequel il comprend " ce qu'est le groove ". Il cherche dès lors à associer ces deux univers. Du Rock il veut garder l'intensité, l'énergie et l'utilisation de la technologie et des instruments électrifiés. De la musique classique il retient la virtuosité technique, les instruments acoustiques et la capacité des musiciens à lire une partition. Il joue alors ses propres compositions ou les fait interpréter par l'ensemble qu'il fonde en 1983 : le Michael Gordon Philharmonic, à mi-chemin entre quatuor à cordes et combo rock. En 1983 il écrit notamment pour cet ensemble Thou Shalt ! / Thou Shalt Not ! qu'il considère comme sa première véritable composition. D'autres sont confrontés aux mêmes résistances. Ses amis Julia Wolfe et David Lang peinent à faire interpréter leur musique considérée comme "trop funky pour l'académie et trop structurée pour les clubs". En 1987, ils fondent ensemble le Bang on a Can Festival, un marathon musical de 12 heures donnant à entendre leurs propres compositions mais aussi celles de Phill Niblock, Steve Reich, Louis Andriessen, Iannis Xénakis, Pauline Oliveros, John Zorn, Milton Babbit...

Bang on a Can Live volume 1 (CRI, 1992)

Une série d'enregistrements live au Bang on a Can festival ont été publiés par le label Composers Recordings Inc. (CRI). Sur Bang on a Can Live volume 1, figure Strange Quiet, une pièce d'une douzaine de minutes enregistrée lors du premier festival en 1987. Première pièce de Michael Gordon enregistrée sur disque, Strange Quiet est un véritable kaléidoscope de ses influences. Elle est interprétée par le Michael Gordon Philarmonic composé de Ted Kuhn (violon), John Lad (violon alto), Michael Pugliese (percussions), Evan Zyporyn (clarinette basse), Bob Loughlin (guitare électrique) et Michael Gordon lui-même (claviers).

Michael Gordon procède par glissements progressifs d'un passage à un autre. Se succèdent et s'entremêlent ainsi des sons granuleux de guitare électrique, des coups de masse assénés par le batteur, des ambiances dominées par des sonorités de carillons (rappelant lointainement Mike Oldfield), des passages marqués par l'esthétique minimaliste répétitive ou encore les pianos mécaniques de Conlon Nancarrow.

Strange Quiet est hypnotique. Le terme paraît galvaudé, mais il s'agit là de la principale marque de fabrique de Michael Gordon. Les effets psycho-acoustiques " directs " font partie intégrante de toute pièce inspirée par le courant minimaliste répétitive. Mais au-delà de cet aspect il y a aussi cette " étrange quiétude " qu'évoque le titre de la pièce, en référence au concept de Sigmund Freud "d'inquiétante étrangeté". Pour faire court, la musique de Michael Gordon fait appel des ingrédients qui paraissent si familiers qu'ils en deviennent troublants. Une espèce de " déjà entendu " qui vous pousse à réécouter une pièce pour essayer de comprendre d'où " ça " vient. Un "ça" perpétuellement insaisissable. Ce phénomène est également obtenu par la confrontation entre harmonie et dissonance et l'altération fréquente des divers éléments de ses créations : mélodie, rythme, voir le son lui-même par retouche en studio et incorporation d'électronique... Ainsi, selon John Adams, Michael Gordon crée des "rythmes irrationnels". Tous ces aspects interviennent, à divers niveaux, dans la plupart de ses compositions.

En 1992 Michael Gordon, Julia Wolfe et David Lang fondent le Bang on a Can All Stars, un ensemble dédié à l'interprétation du répertoire contemporain tout au long de l'année. Ils créent aussi leur propre label Red Poppy et signent un contrat de distribution avec Schirmer. Mais en 1992, c'est avec un l'ensemble anglais Icebreaker que Michael Gordon enregistre Yo Shakespeare qui paraîtra sur l'album Terminal Velocity (Argo Decca, 1994), qui contient les germes du futur Trance.

Bang on a Can Industry (Sony Music, 1995)

Michael Gordon compose Industry en 1993 avec la violoncelliste Maya Beiser, membre du Bang on a Can All Stars. Industry fait appel à des sonorités sombres, agressives et lancinantes. Maya Beiser l'interprète de façon magistrale au violoncelle et au " tube screamer ", Michael Gordon l'accompagnant à l'aide de dispositifs électroniques. Industry propage des ondulations électriques qui vous transpercent le corps. Ce phénomène étrange que l'on trouve dans la musique de Michael Gordon semble prendre ici forme dans la tessiture même des sons et dans leur capacité à entrer en résonance avec les vibrations du corps humain. A noter que l'on doit aussi à la violoncelliste Maya Beiser la création de Cello Counterpoint de Steve Reich en 2003.

Michael Gordon / Ensemble Icebreaker Trance (réédition Cantaloupe, 2005)

En 1996, Michael Gordon retrouve l'ensemble londonien Icebreaker pour enregistrer Trance avec (Argo, 1996). Cette longue pièce d'environ 40 minutes, subdivisée en 6 mouvements, doit autant à Philip Glass et Steve Reich qu'à la musique classique et aux symphonies pour guitares de Glenn Branca. Pour le 4ème mouvement, l'un des plus marquants, Michael Gordon procède par adjonctions successives d'instruments (guitares électriques, basse, synthétiseur, trompettes, saxophone, trombones). Il accumule ainsi les strates sonores, plaçant même des élévations d'intensité, pour aboutir en fin de mouvement à un paroxysme. Parvenu à son point culminant la musique s'interrompt brutalement pour laisser place à un drone ou bourdon qui se prolonge longuement sur le mouvement suivant.

Trance devait être créé en France lors d'un marathon musical de près de 12 heures au Palace à Paris le 27 octobre 1996. Ce marathon musical, sur le modèle du Bang on a Can festival, était organisé par Stéphane Lelong, auteur du livre Nouvelle Musique (Editions Balland, 1996). Ce festival a malheureusement été annulé sans préavis et à la dernière minute.

En 1998, Michael Gordon s'est chargé des arrangements du premier mouvement de Music for Airports de Brian Eno pour une interprétation sur instruments acoustiques par le Bang on a Can All Stars. Cette superbe version, aussi réussie que l'originale, a été interprétée par le Bang on a Can Alls stars lors d'une tournée en 1999-2000 (New York, Londres, Amsterdam) et présentée in situ à diverses reprises (notamment dans le hall de l'aéroport de Bruxelles en septembre 2005).

Le travail sur cette œuvre fondamentale de l'ambient music a très certainement influé Michael Gordon dans la composition de Weather (Nonesuch, 1999), un projet en cours de gestation depuis 1996. Weather, pour ensemble à cordes et vidéo, est une composition en 4 mouvements interprétée par les 16 musiciens de l'Ensemble Resonanz, dirigé pour l'occasion par Evan Ziporyn. Ce disque est d'une extrême finesse. Essentiellement acoustique la musique est enrichie, sur certains passages, de sons électroniques particulièrement bien dosés et d'un impact émotionnel très fort. Weather présente une certaine parenté avec les travaux de Steve Reich et Philip Glass, mais Michael Gordon prend une grande liberté avec les lois de la musique minimaliste répétitive et réussit à créer un groove indéfinissable. Weather, d'abord enregistré live, a ensuite été retravaillé en studio pour, selon Michael Gordon, bénéficier de toutes les technologies de pointe ayant cours dans la Pop Music. Le 3ème mouvement, un peu à part, est élaboré à partir de samples de sirènes du type "alertes aériennes". Dans sa version pour la scène Weather comporte une partie visuelle élaborée par le vidéaste Elliot Caplan. Si vous aimez les cordes qui tressautent et valsent, si vous aimez savourer les cordes qui glissent et crissent, il vous faut connaître Weather. Elle est devenue avec le temps la pièce culte de Michael Gordon.

Une nouvelle interprétation de Weather par le Manchester Collective a été filmée au Southbank Centre de Londres en septembre 2022. Elle permet d'apprécier la partie vidéo de l'oeuvre.

Michael Gordon Decasia (Cantaloupe, 2002)

En 2001, Michael Gordon, Julia Wolfe et David Lang, toujours en quête d'indépendance et d'autonomie, ont créé le label Cantaloupe. Ce label leur a permis de rééditer par leurs propres moyens certaines de leurs œuvres devenues introuvables sur disque (l'album Trance concernant Michael Gordon) et de publier de nouveaux disques. Cantaloupe est distribué en France par Distrart.

En 2006 Cantaloupe Music a réédité Terminal Velocity de l'ensemble Icebreaker. Sur ce disque l'ensemble londonien interprète Yo Shakespeare, composé par Michael Gordon en 1992, ainsi que des œuvres de Louis Andriessen, Gavin Bryars, Damian LeGassick et David Lang.

En 2001, Michael Gordon a composé Decasia (Cantaloupe, 2002), une commande du festival Europaischer Musikmonat 2001. Œuvre d'envergure symphonique, Decasia n'est absolument pas néoclassique dans sa forme. Michael Gordon propose un travail sur une imposante masse sonore, une sorte de coulée de lave en fusion. Très sombre, Decasia demande de multiples écoutes avant de se laisser apprivoiser. Cette œuvre est conçue à l'origine pour être présentée avec une mise en scène du Ridge Theater de New York intégrant une œuvre vidéo en noir et blanc de Bill Morrison.

Michael Gordon Light is Calling (Nonesuch, 2004)

L'album Light is Calling (Nonesuch, 2004) comporte huit courtes pièces (de 4 à 7 minutes) composées par Michael Gordon pour instruments à cordes (violon, violoncelle, guitare électrique...) et électroniques. Cet album tranche totalement avec Decasia. Sur la plupart des morceaux les cordes virevoltent, grincent, vibrent et claquent sur un tempo très rapide. En duo avec Todd Reynolds, en trio ou au maximum en quintet Michael Gordon assure les parties d'électroniques aux claviers, notamment la programmation de percussions. Le morceau éponyme Light is Calling a été écrit pour être accompagné par une vidéo de Bill Morrison, incluse sur le enhanced cd. Les images semblent être celles des retrouvailles d'un couple à l'époque de la Guerre de Secession. Bill Morrison travaille directement sur la pellicule, la dégradant pour obtenir des effets de textures et de matière.

De nombreuses autres pièces de Michael Gordon ont été créées à travers le monde. Beaucoup n'ont pas encore été publiées sur disques : Chaos (1994), présenté comme un spectacle de science-fiction sur un libretto de Matthew Maguire ; House Arrest, First Edition (1997) créé avec la dramaturge Anna Deveare Smith ; Sunshine of Your Love créé en 1999 par le London Sinfonietta et l'Ensemble Modern dirigés par John Adams ; Potassium (2001) par le Kronos Quartet ; l'opéra vidéo Gotham (2004) avec le Ridge Theater, Bill Morrison et un orchestre de 35 musiciens ; Acquanetta (2005) de Michael Gordon et Deborah Artman, un opéra dédié à l'actrice de série B Acquanetta, "le volvan vénézuélien" (voir le site Web de l'opéra : www.acquanetta.net) ; Lightning at our feet (2008), spectacle multimédia en collaboration avec le Ridge Theater et basé sur des textes d'Emily Dickinson. Adaptés sous forme de pop songs, ses textes sont interprétés par Jennifer Charles, les vidéos étant quant à elles réalisées par Bill Morrison. Quelques extraits du spectacle sur Youtube révèlent une création sombre et intimiste qui évoquent This Mortal Coil.

Gordon Lang Wolfe Lost Objects (Teldec New Line, 2001)

Michael Gordon, Julia Wolfe et David Lang ont composé ensemble l'opéra multimédia The Carbon Copy Building, en 2000, élaboré en collaboration avec le créateur de comics Ben Katchor, le metteur en scène Bob McGrath et le Ridge Theater. Le trio de compositeurs a également écrit la musique de l'opéra Lost Objects (Teldec New Line, 2001) sur un texte de Deborah Artman. Lost Objects est un superbe opéra, dans la veine "minimaliste répétitive" comme il se doit. La version disque comporte des interludes / remix signés DJ Spooky. Le trio de a également composé l'opéra Shelter, dont le texte est à nouveau signé par Deborah Artman. Cet opéra a été créé en novembre 2005 par le Ridge Theater, un trio vocal scandinave, et l'ensemble allemand MusikFabrik de Cologne dirigé par Brad Lubman.

La pièce Van Gogh de Michael Gordon, basée sur les lettres de Vincent Van Gogh envoyées à son frère Théo, a été créée en 1991 sous la forme d'un opéra vidéo. En 2003, Michael Gordon l'a ré-orchestrée pour le Crash Ensemble de Dublin. Cette nouvelle version a été enregistrée par l'ensemble Alarm Will Sound pour Cantaloupe Music en 2007. [purgatorio] Popopera, une pièce d'une vingtaine de minutes pour six guitares créée pour une chorégraphie de la compagnie Emio Greco/PC a été publiée sur disque en 2008.

L'ensemble Slagwerk den Haag a enregistré Timber, une composition de Michael Gordon pour percussions de bois, pour Cantaloupe Music en 2011. Cette même pièce a donné lieu au disque Timber remixed en 2016, contenant 12 remixes par 12 artistes différents, dont Jóhann Jóhannsson, Fennesz, Squarepusher, Ikue Mori et Mira Calix.

Depuis 2000, Michael Gordon a composé plusieurs pièces pour quatuor à cordes spécifiquement pour le Kronos Quartet, mondialement reconnu: Potassium (2000), The Sad Park (2006), Exalted (2010) et Clouded Yellow (2010). Ces quatuors ont été enregistrés sur l'album Clouded Yellow publié en CD, sur Cantaloupe Music, et numérique, sur Bandcamp, en 2018.

Bibliographie :

Liens :

© Eric Deshayes - neospheres.free.fr